top of page

Quelle dynamique

et finalement quelle place pour 

la Solidarité ?

La société française vit actuellement fractures sociales et replis communautaires, relayés sans fin par les medias sur toutes les ondes. On pourrait se résoudre au pessimisme mais ce serait occulter les formidables élans qui naissent ici ou là des initiatives collectives et citoyennes.

 

La Solidarité s’exprime à travers les associations qui proposent des solutions sur leurs territoires (ex des épiceries solidaires). Les initiatives contributives apportent des outils - notamment digitaux - pour répondre à des nouveaux comportements (ex. Blablacar) et dans le monde privé, la dynamique des PME attire les grandes entreprises (ex. des laboratoires pharmaceutiques qui trouvent de nouveaux relais de croissance à travers l’achat de start-up créatives). L’innovation jaillit des petites structures.

D’où provient ce foisonnement d’initiatives ?

Nous l’avons observé dans l’enquête, les institutions publiques doivent répondre à une diversification des besoins et adapter leurs réponses aux nouveaux comportements de leurs bénéficiaires. Il s’agit d’une transformation en profondeur qui doit permettre par exemple l’autonomisation des publics en grande exclusion (ex. Pacte parisien 2015-2020 de la ville de Paris). Il y a aussi nécessité à décloisonner pour mieux coordonner les actions et accueillir d’autres acteurs dans une meilleure répartition des tâches.

 

Ensuite, il faut compter avec le changement de comportement de nombreux citoyens, plus responsables, qui n’attendent plus des institutions qu’elles répondent seules, qui s’organisent et lancent leurs propres démarches à l’échelle de leur quartier ou de leur territoire (ex. jardins partagés, accompagnement de migrants dans leurs démarches administratives…).

 

Dans le secteur associatif ou contributif, l’activité repose sur un pilotage par le sens (voire le bon sens vs. le profit comme but unique). Il travaille en flexibilité et répond à des questions de proximité, que ce soit au niveau du territoire ou en relations facilitées par le numérique. Tous ces facteurs contribuent à l’effervescence.

Co-construction et hybridation des projets solidaires

 

De nouveaux modèles économiques associatifs se développent à l’instar d’Aurore (2) dont la mission est d’héberger, soigner et accompagner près de 30 000 personnes en situation de précarité ou d’exclusion vers une insertion sociale et professionnelle. Aurore propose en effet des structures d’accueil originales [« hors ghetto en faisant côtoyer les logés et les gens dans les bureaux ».].

 

On assiste également à une professionnalisation des acteurs (Ashoka, Groupe SOS… (5) qui interviennent et agissent – avec le risque de saturation observée sur certains territoires ou champs d’intervention (notamment dans le domaine de l’insertion).

 

Les institutions observent les solutions proposées par d’autres acteurs et s’ouvrent aux partenariats sur les territoires. Des laboratoires de recherche (Le Rameau - 6) ou universitaire avec l’ESSEC et sa Chaire Entrepreneuriat social (7) réfléchissement mais agissent aussi et forment les nouveaux acteurs aux nouveaux modes de partenariats.

 

D’ailleurs, l’évolution des partenariats entreprises/associations s’accélère depuis dix à vingt ans. Autrefois, ces deux mondes vivaient séparés avec une répartition des rôles, sans beaucoup d’interfaces et une perception de l’autre plutôt réciproquement méfiante voire négative. Mais ça, c’était avant. Les frontières sont plus fines aujourd’hui et la convergence est là : les enjeux sociétaux, l’évolution idéologique ont permis au mécénat d’entreprise d’évoluer pour sortir du purement caritatif originel.

 

Il y a 10 ans, les pratiques responsables sont apparues dans les entreprises qui, avec l’expertise d’associations, ont permis – par exemple - de mieux intégrer les handicapés ou de mettre en place des politiques d’achats responsables.

 

Entre 2003 et 2012, c’est la coopération économique qui émerge : chaque partenaire contribue à l’offre de l’autre ou met en œuvre une offre commune. (Source Mooc Les partenariats qui changent le monde, Essec-Le Rameau – (4).

 

 

Une addition simple d’énergies positives,

comme par exemple, le partenariat Mobiliz (8), lancée en 2012 par Renault et Wimoov :

 

      1 projet porté par une structure d’intérêt général :

Wimoov  : sa vocation, à travers sa plateforme de mobilité, est d’accompagner tous les publics en situation de fragilité (personnes en situation de handicap, personnes en insertion professionnelle, seniors…) vers une meilleure mobilité

   + 1 caractère innovant d’utilité sociale :

Un programme pour faciliter l’accès aux moyens de transport et ainsi favoriser le retour à l’emploi des personnes en situation de fragilité

    + 1 passage à l’échelle grâce au partenaire privé :

Renault contribue par le financement de plateformes Wimoov et la mise en place de Garages Solidaires Renault (services d’entretien et de réparation automobile à prix coûtant accessibles aux bénéficiaires identifiés dans les plateformes de Wimoov)

 

= R&D sociétale : Mobiliz : véritable interface de l’ensemble des services mobilité de ces zones, chacune de ces plateformes permet d’accompagner environ 1 000 personnes par an.

 

R&D sociétale, social business, économie sociale et solidaire (ESS) … peut importe finalement le terme retenu, .

 

L’ère du « co-» est en marche

 

Co-créer, co-construire, co-voiturer (qui vient d’entrer au dictionnaire 2016) et bien entendu, co-financer. A ce titre le crowdfunding, levier puissant de Solidarité permet à toute personne, tout projet de trouver des co-financeurs, dans tous les domaines. Et ce, quel que soit le montant de la contribution. Les co-financements trouvent leurs soutiens dans ces démarches de financement participatif mais aussi dans ce que l’on nomme la « générosité embarquée » : financement innovant qui cherche à mobiliser les foules dans les transactions du quotidien et permet ainsi aux citoyens de faire un micro-don (de quelques centimes à quelques euros) sur  leurs bulletins de paie, leurs tickets de caisse, leurs achats en ligne, leurs relevés bancaire. (Ex. MicroDON – (9)).

 

L’importance capitale du numérique est à noter sur deux plans essentiels : en tant que tel, c’est-à-dire comme outil de facilitation dans les relations en donnant accès au plus grand nombre. Mais aussi et surtout dans sa fonction d’amplificateur qui permet une communication plus large et un passage à l’échelle des projets.

 

A tous ces phénomènes vient s’ajouter une mutation socio-économique qui joue des coudes et prend une place dans l’écosystème de la Solidarité :

« L’économie consumériste est morte, vive l’économie contributive ! Le célèbre philosophe Bernard Stiegler décèle dans l’essor des logiques coopératives, parmi lesquelles l’économie du partage, les dynamiques de co-constructions, l’open-source, les réseaux peer-to-peer, l’émergence d’un nouveau modèle économique appelé à remplacer un capitalisme crépusculaire ». (UP Conférence « Economie contributive : ni producteur, ni consommateur, avril 2015 – (10)

Cette nouvelle forme d’économie – nous l’avons évoquée dans l’enquête - pose le problème de la rémunération des contributeurs.

 

[Le chercheur théoricien promeut « un revenu universel citoyen », revenu fixe et conditionnel  pour un meilleur équilibre entre travail marchand et travail contributif: « le travail n’est pas une marchandise. »]

L’avenir va devoir trouver la bonne mesure de la régulation entre le monde économique classique et celui émergeant de l’économie contributive : le torchon brûle déjà entre les taxis et les VTC (voitures de transport avec chauffeur). L’ubérisation (11) est en marche… mais pas encore dans le dictionnaire.

L’ubérisation… ainsi que d’autres actualités viennent titiller notre Solidarité, ou manque de Solidarité.

 

 

 

Quand l’actualité télescope ma recherche en Solidarité

 

Plusieurs interviewés ne manqueront d’ailleurs pas d’aborder la situation des migrants qui touche la France et plus largement l’Europe. Car cette actualité tragique challenge nos réactions, nos peurs mais décuple aussi l’engagement :

 

[Suite aux attentats, les salariés s’engagent encore plus (1 500 collaborateurs sur un effectif de 4 000 en France, toujours en mode bénévole.]

 

Quand on se concentre plusieurs mois sur un sujet tel que la Solidarité, notre attention est automatiquement happée dès que le thème est abordé, sous une forme ou sous une autre. Il faut garder tête froide et ne pas trop vite conclure qu’on travaille sur LE SUJET DU MOMENT. Mais néanmoins observer que l’actualité (du monde mais aussi du quotidien) apporte son lot d’échos inattendus, ouvre des perspectives de réflexion.

 

Assister à la première nationale du film "L'Odyssée de l'Empathie" (12), au-delà du grand bol d’air que m’ont procuré les témoignages éclairés de ce documentaire, m’a ainsi ouvert les yeux sur deux approches qui bousculent nos idées reçues sur l’empathie. Et qui dit Empathie, dit Solidarité. Révélations.

 

Tout d’abord, des recherches scientifiques dans les neurosciences ont mis en exergue les neurones miroirs (13) qui jouent un rôle dans l’apprentissage par imitation, mais aussi dans les relations affectives telles que l’empathie.

 

Ensuite, les travaux de recherche de la Préhistorienne Marylène Patou Mathis (14) montrent que la violence est une construction culturelle. L’agressivité - de l’être humain comme de l’animal – est biologique et permet sa survie mais la violence, elle, n’est pas innée chez l’homme.

 

[La chercheuse en Préhistoire voit l’optimisme que ces études sur la violence/l’empathie apportent aujourd’hui : si on peut construire, on peut déconstruire.]

Ainsi, nous pouvons cultiver notre empathie – naturelle – et construire une société sur ce socle. Quelle perspective !

 

 

Au cours de ce premier semestre, deux autres actualités cinématographiques vont nourrir également ma réflexion : le film « Demain » qui met en lumière des solutions pour la planète, l’énergie, l’alimentation, l’éducation, le vivre-ensemble… des solutions à portée de main qui existent et sont faciles à imiter, reproduire. Puis plus récemment le film « Merci patron » ou la revanche de chômeurs du Nord de la France, sacrifiés sur l’autel du luxe et de l’argent – un acte de résistance plutôt jubilatoire.

 

Ces documentaires sont loin d’être anodins pour moi (d’autant que Demain vient de franchir la barre du million de spectateurs – remarquable pour un documentaire déjà primé d’un César). Ils sont aussi le reflet d’une Solidarité en besoin de s’exprimer ou de repères, un besoin d’optimisme réaliste aussi. Des solutions, des réponses pertinentes pour résoudre nos problèmes de société existent, et les « minorités agissantes » (expression de Merci Patron) sont en marche. Une façon positive de regarder notre monde.

Le citoyen réveille son appétit d’un monde différent… et quand il va travailler il devient un salarié avec d’autres attentes (et c’est le même individu).

 

 

 

La Solidarité, vecteur de changement positif en entreprise

 

Le modèle d’entreprise à la française est malade dans sa structure pyramidale, avec la perte de repères dans une économie à objectifs courts, des chefs à l’abandon entre vision floue et opérationnel compliqué, l’injonction à innover sans terreau favorable pour y parvenir… autant de souffrances des salariés et de leurs managers dans le contexte d’aujourd’hui.

 

Des solutions émergent entre Entreprise libérée et holacracy (15) – les entreprises sans chef - qui permettent une horizontalité du management et s’intéressent au bien-être et à la vitalité des individus vers de nouveaux potentiels économiques.

 

Des prestataires offrent aujourd’hui des opérations solidaires clés en main (par ex. Ça me regarde, et vous ! – (16)) au sein des entreprises pour activer le sens de l’engagement, du travailler ensemble. Décaler le regard et prendre du recul à travers une expérience forte en posture gagnant-gagnant entre l’entreprise et l’association. D’autres activités permettent de mieux prendre consciente de la qualité de la vie au travail et d’y développer des dynamiques collaboratives (par ex. Les ateliers durables (17). Autant d’actions qui permettent d’animer sainement la RSE des entreprises – peu ou mal incarnée humainement que ce soit au niveau des collaborateurs ou du management.

 

Alors la Solidarité comme nouvelle modalité dans le travail ? Certainement une piste pour les générations X et Y pour lesquelles la pyramide managériale c’est          et le besoin de sens dans son activité et l’importance de l’engagement, c’est          .

 

D’ailleurs, les entreprises et associations s’observent dans leurs méthodes. La Maison du Management proposait ainsi en mars dernier une rencontre sur la thématique «L’associatif, le nouveau modèle économique de demain ? ». (18)

Les entreprises peuvent également s’appuyer sur des réseaux tels qu’IMS-Entreprendre pour la Cité (19) qui les accompagne dans leur engagement et démarches de responsabilité sociétale (RSE).

 

Dans les différentes situations observées, au travail et dans la société, ne sommes-nous finalement pas en quête d’un simple retour au bon sens ? Avec des relations simples et positives. Du progrès pour tous. Donner du temps au temps. Faire ensemble. Donner une 2ème chance (comme à l’école de la 2ème chance), payer un service qualitatif au juste prix (à l’atelier vélorutionnaire ou à l’épicerie solidaire).

 

 

 

La Solidarité, une émotion positive

 

Ceux qui font l’expérience de la Solidarité évoquent à maintes reprises dans l’enquête les émotions ressenties : ça fait du bien, ça remue, ça fait réfléchir… ça peut même être indélébile.

 

Comme le décrit fort justement Olivier Bas dans son livre «L’envie, une stratégie » (20), les émotions sont l’oxygène de l’envie. L’envie d’agir, de s’engager. Dans l’entreprise, dans son équipe, pour un projet, co-llaborer, re-travailler le vivre ensemble, dans une dimension plus humaine.

 

Dommage d’avoir banni ou contré les émotions dans les entreprises. Dans notre société française, celle de la Raison, vivre des émotions est souvent perçu comme un signe de faiblesse alors que collectivement elles peuvent représenter une force vive redoutable. Animer et souder des équipes, donner du sens… alors vivement le retour de la Solidarité comme moteur de management !

 

Faire le choix de l’empathie plutôt que de la compétition. Du bien commun plutôt que l’escalade au profit. Utopie ou simple retour au bon sens ?

 

 

Et puis sans aucun doute, ne pas avoir peur : passer outre les peurs et suivre les rêves !

Comme l’a écrit Jean-Michel Ribes en introduction de sa nouvelle saison au théâtre du Rond Point – avec comme grand rire de résistance, la phrase de Victor Hugo, « Etonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait. » :

 

Il y a quatre siècles, dans un discours charpenté de méthode, le bon René Descartes, philosophe bardé de raison, désignait le bon sens comme la chose la mieux partagée du monde. […] Ne serait-il pas surpris de constater que la chose la mieux partagée du monde n’est plus le bon sens mais la peur ?

 

Peur de tout, peur de rien, peur d’hier, de demain, du terrorisme comme du gluten, peur de l’autre, d’Ebola, des banques, des migrants, du chômage, des rides, du patron, des lois, des banlieues, des arbitres, des tempêtes, du porc, des loups, des rues étroites, de l’Europe, de la drogue, des insectes, des insecticides, des médias, peur du noir, peur du rouge, des jours qui raccourcissent, des arbres qui tombent, des avions aussi, peur de son père, des Russes et des Chinois, de la banquise qui fond, des tigres qui disparaissent, des leaders éclairés, des ténèbres, du vide, peur d’être laid, de perdre sa vie, son temps, son smartphone, de n’être pas choisi, invité, remarqué, d’être seul, oublié, peur d’être soi, peur d’être. »

 

 

Ne pas avoir peur… de changer de méthode, d’objectif et endosser ce que je nommerais la « Solidaritude » ! Car il me semble que notre futur tient dans la capacité de chacun-e et de tous (acteurs publics, entreprises, associations, citoyens) à réfléchir et travailler ensemble avec bon sens et enjeu commun de réussir.

 

 

La Solidarité comme dynamique collective pour dépasser les aprioris et les prés carrés. Inventer des solutions d'efficacité économique avec pour objectif premier, l'intérêt général. Une formidable dose d'optimisme !

 

 

« Chacun est seul responsable de tous. »

Antoine de Saint-Exupéry

Valérie Maillard

bottom of page